jeudi 20 août 2015

Le pont des flâneurs



Rien dans ce titre - ni dans ce sous-titre - ne laisse imaginer un lien avec les aviations de l’OTAN en France. Ce n’est que la 4e de couverture évoquant cette « Chronique des années cinquante dans une ville de province, près d’une base américaine » qui, recoupée avec la photo de première de couverture illustrant le viaduc ferroviaire de Chaumont  - le fameux « pont des flâneurs » - laisse présager qu’il peut être question de l’ancienne base aérienne de Chaumont-Semoutiers au fil des pages de ce livre.

Dès les premiers chapitres, il apparaît nécessaire de s’accrocher pour envisager « d’avaler » les 324 pages de cet ouvrage. Si le fonds est à coup sûr digne d’intérêt (la percée du rock’n roll en France dans les années 50-60), la forme est assez décourageante. En effet, le style de l’auteur ne facilite pas l’entrée dans l’histoire : phrases saccadées, groupées en de courts paragraphes, sautant parfois du coq à l’âne, au moins en apparence, avec une ponctuation des plus minimaliste… Or, comme une bonne partie du récit consiste à rapporter des témoignages et des phrases de tierces personnes, l’absence de guillemets et de ponctuation (points d’exclamation et même d’interrogation) dissout le propos et noie le lecteur. D’autant que, dans ce récit autobiographique, l’auteur parle souvent de lui à la 3e personne du singulier, ce qui pousse souvent le lecteur à se demander de qui il est question dans le paragraphe qu’il est en train de lire. Et les paragraphes sont nombreux (au moins trois par page!). 

L’auteur témoigne de l’importance salvatrice qu’a prise le rock’n roll dans sa vie d’orphelin pauvre, qui sans ça aurait pu mal tourner. Le rock fut la planche de salut, la branche à laquelle il se raccrocha. Cet ouvrage, apparente tentative de « thérapie éditoriale », est construit comme une succession de souvenirs, régulièrement jalonnée de paragraphes en italique figurant des interventions du défunt père de l’auteur, réagissant à la lecture du livre de son fils. Si le procédé est intéressant à explorer, il est cependant toujours délicat de faire parler les morts. En outre à de nombreuses reprises, l’italique a été omis pour les paragraphes paternels lors de la mise en page, ce qui perturbe encore davantage la lecture. Dès la page 22, le « père » donne le ton de ses interventions qui resteront à peu près sur le même mode tout le long du livre : « tu en rajoutes (…) tu rebutes un peu le lecteur éventuel ». A de nombreuses reprises, par la « voix » de son père, Gérard Pernelle laisse à penser que sa prose ne vaut pas la peine d’être lue. A force, il finit par en convaincre le lecteur… Ce père absent apparaît souvent rabaissant dans ses « interventions » insufflées par son fils, à tel point que ce livre apparaît vraiment comme une volonté de l’auteur de prouver quelque chose, de prendre une revanche, ce qui est assez pesant au cours de la lecture.

Concernant la base américaine, puisque c’est la raison pour laquelle ce livre figure dans notre bibliographie de Chaumont-Semoutiers, force est de constater que le lecteur n’apprendra pas grand chose. Les quelques évocations disséminées au fil du livre relatent les expéditions officieuses à travers bois, les jeudis après-midis, pour voir les avions, et les incursions sur les alvéoles, par delà les barbelés, entre deux patrouilles de MP, pour les toucher. Il convient pourtant de prendre du recul par rapport aux souvenirs de l’auteur, souvent très inexacts. Par exemple, le F-100 (également orthographié F Cent !) est évoqué dès 1951, bien avant son arrivée en Haute-Marne. De même, l’auteur fait référence aux « Dakota double queue », comprenez les C82 Packett ou C-119 Boxcar… rien à voir avec les bons vieux Dak

L’intérêt principal de l’auteur pour la base américaine se matérialisait dans les disques vinyle récupérés dans les poubelles du PX, en attendant de disposer, un jour peut-être, du tourne-disque pour les écouter. Tout n’est pas à jeter pour autant, tant qu’on s’éloigne des détails relatifs à la base aérienne. Ainsi, Gérard Pernelle propose un intéressant retour sur l’histoire de la guitare dans le folk, le blues et la country avant d’en arriver au rock. De même, l’historique sommaire du golf Drouot, à Paris, est intéressante pour celles et ceux qui n’ont pas connu cette époque, et l’influence qu’avait cette scène, véritable tremplin rock,  dans le monde musical français des 60’s.

Gérard Pernelle s’étant apparemment beaucoup investi et illustré dans le monde des bourses et foires aux disques, il présente, au fil des pages de nombreux portraits de collectionneurs de disques, parmi ses amis plus ou moins proches, et qui s’avèrent assez ennuyeux et répétitifs. L’auteur s’applique, par son style, à diffuser une atmosphère générale jalonnée de descriptions de moments fugaces, mais peine à embarquer son lecteur dans un réel flot narratif. De nombreux jeux de mots faciles alourdissent des phrases déjà tortueuses sans rien apporter au propos. 


Ce livre a davantage d’intérêt pour essayer de (re)vivre l’ambiance des villes de garnisons US en France au début des années cinquante que pour vraiment découvrir des aspects de la base américaine de Chaumont qui, si elle est présente, reste très anecdotique dans ce livre. Il convient de constater que le sous-titre de cet ouvrage (L’émotion du rock’n roll) aurait dû être le titre principal tant c’est le propos essentiel de ces 324 pages. Un lecteur de la même génération que l’auteur, ayant connu les mêmes émois musicaux sensiblement à la même époque trouvera peut-être du plaisir à parcourir ces pages. Pour les autres, si vous ne possédez pas cet ouvrage, consolez-vous, vous ne manquez pas un grand moment de lecture.

4e de couverture du Pont des flâneurs, de Gérard Pernelle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire